Marianne
Clé de voûte, cette jeune héroïne affiche une légèreté d’apparat. Epouse entretenue d’un haut magistrat, aimée tout a la fois comme un enfant et un bibelot, elle frotte son désoeuvrement dans la dépense, brûle d’une passion fausse pour le clinquant, la vie dans les Grands Magasins. Quand Octave interrompt le cours de cette mécanique, Marianne entrevoit en lui la possibilité du frisson. Elle s’éprend de ce messager, bête noire de Claudio : il est libre de ton, d’aspect aventureux, un poète effronté et charnel. Sa vitalité tranche net avec la mollesse sophistiquée des riches. En ce cas, Marianne se ferme a l’invisible Coelio. Elle entend mener sa barque et choisir son camp, dut-elle tenter la patience de son mari. La question qu’elle pose a l’assistance et qui court cachée entre ses lèvres est simplement celle-ci : comment être une femme ? Le patriarcat latent influent sur les habitudes du sexe et quoique tempère, c’est une valeur ancrée. Maîtresse d’elle-même, une femme est encore aujourd’hui comprise une amazone faiseuse de castrats ou une pute. En surface, la prolixité des poils ne compte pas. Blessée qu’on veuille la diriger, Marianne s’interroge sur sa place en arborant un cynisme hérite de sa caste. Les analystes y voient a tord la marque du caprice. L’ironie faisant foi dans tout bon drame, le choix de Marianne s’avère ruineux. L’homme qu’elle désigne se rend indisponible a ses appels, la renvoyant conséquemment a la vie décorative. Bouillante statue d’Albâtre est un épithète correct pour peindre la femme accréditée par Coelio.
Octave
Agitateur émérite, il tient le gouvernail de l’histoire. Dépêché par Coelio pour provoquer un mouvement, il sait se distinguer d’une façon bien discutable. Ce bohémien de cœur est un sonneur de tocsin, amoureux bruyant de la Dolce Vita. A l’en croire, le secret de l’existence a été résumée par Hemingway : « Eh bien surtout, on ne sera pas sérieux. Je le sais, déjà, si tu es sérieux, c’est la mort. ». Alors il vit pour la légèreté, parait accorder tout son crédit a l’encens plutôt qu’au bâton. C’est en réalité un poseur de talent, un blesse qui se panse avec de l’alcool. On ne sait rien de sa peine mais on voit qu’il pousse sa solitude au plus loin de lui. Il rentre obstinément dans les affaires de Coelio dont il s’octroie la primeur, gène la virilité de Claudio, tisse une toile avec Marianne, fait un geste en faveur du meurtre de son ami. Comment imaginer un enracinement plus franc, un paradoxe plus total dans l’homme qui se dit détache ? A la mort de Coelio, Octave arrête de conduire sa vie souterraine avec Marianne et repart pour un détachement de pacotille. Il n’assume plus son œuvre, soupire après la franchise, la spectaculaire intégrité, la poésie pure de Coelio, un être inaccessible au monde illusoire et terrien. Il meurt vivant.
Coelio
Rarement un homme aura autant mis sa vie dans les visions. Alors que toute la réalité est perdue sous la Maya, le poète l’exhume comme une roche et la patine. Coelio voit Marianne. Il aimerait le lui dire mais sa condition de doux rêveur, d’ermite au sein d’une masse le rend faible. Il n’a qu’Octave pour le rallier a la terre, le poser sur le ciment. Octave et lui, quoique frères en dedans, sont aussi des chiens de faïence qui grimacent devant leur talent respectif. Coelio jalouse le talent d’indépendance du romantique, sa patte sur le monde aérien. L’un veut s’accomplir dans l’idolâtrie, l’autre dans le déni. Celui des deux qui nie et passe de la pommade sur sa blessure secrète va pourtant supplanter l’autre et ramener pour lui-même la possibilité d’être heureux. Octave espère en souterrain parvenir a l’harmonie dans les bras de Marianne. Coelio ne pèse pas assez lourd pour se battre, il lui faut marcher au suicide qu’Octave lui suggère en l’attirant dans un cul-de-sac. Dans les conditions du fatum, un rendez-vous manqué entre l’épouse du juge et son premier admirateur va de soi. Le jeune homme rend son propre assassinat facile. Le refoulement, la hantise du plein jour et de la responsabilité, l’oisiveté et les névroses hallucinatoires sont autant de plis a la figure du rêveur. Sa loyauté fanatique envers une femme inconnue force la stupeur. Ici gît un albatros.
Claudio
L’homme du pouvoir en place, le calife des califes. Magistrat corrompu, Claudio ôte le bandeau de cette statue de justice qu’il sert. Sa loi est extraite de son propre code pénal : faire assassiner les gêneurs. Claudio pousse le clair obscur a son meilleur. De prime a bord, personne ne le vaut sur le terrain de la bienveillance, de l’amour conjugal, de l’honorabilité. Personne ne mène le jeu de l’aristocrate grand seigneur avec son flegme. Il couvre tout le monde d’un soin paternel. En réalité, et ce qui signifie hors la Maya, Claudio approuve le meurtre. Ecraser une vie qu’il ne contrôle, lui le fameux ordonnateur, est un bien nécessaire que ses mains délicates répugnent a accomplir. Il y’a les spadassins pour cela. L’homme se veut esthète et formidable, accapareur inspire qui comprend son épouse comme de l’argile. A l’instant ou Pantin s’anime et décide de tirer sur les fils, le Gépéto des salons entre dans la jalousie sourde, policée, ouvragée du vrai gentleman. En sourdine, il goutte aux caillots de sang de Coelio. Brute sophistiquée.
Tibia
Dans les rangs de la bonne société, un jeune homme incongru abat ses cartes prés di foyer. Pupille du calife magistrat, Tibia ambitionne simplement de faire sauter la tête de Claudio puis de carrer la sienne propre au cou de Marianne. Il n’y a que la forme pour distinguer le mentor de son élevé. Tibia est le désir primordial, la sauvagerie dans l’emprise. Claudio tue avec des gants. Tibia sommeille en Claudio mais la Maya revêt le juge de poudre. La poudre estompe les impuretés du visage. Tibia soupir après le monde dore dont il sait a l’occasion imiter les élégances. Mais la bête perce sous l’homme. D’ailleurs, il sera tout désigné pour éliminer Coelio.
La Muse
Ajoutée par mes soins a l’œuvre de Musset, la Muse reprend ici la fonction antique de faiseuse de récits. Elle est fécondante en ce qu’elle délivre une trame et ses interludes, joint les personnages entre eux et ensorcelle le tout de ses chants. Duelles, elle accompagne ses deux fils poètes à la croisée des chemins, permet les impulsions de tous, incite, pousse les actions mais se garde d’y touche. Elle est la grande observatrice, l’œil et la mémoire, la passerelle, un destin que voila. En cinéma, nous dirions que c’est le projecteur. Notre main est prise dans la sienne et cette main est douce, cette main est agitée.